IMITATION DE JÉSUS-CHRIST

IMITATION DE JÉSUS-CHRIST
IMITATION DE JÉSUS-CHRIST

L’ouvrage de piété anonyme du XVe siècle intitulé De imitatione Christi , d’après le titre de son premier chapitre, a connu jusqu’à l’époque actuelle, dans tout l’univers chrétien, un incroyable succès: après la Bible, c’est le livre qui a été, de loin, le plus édité et traduit. De longues et virulentes polémiques se sont élevées au sujet de son attribution et ces discussions ne sont point encore entièrement apaisées. Il est toutefois acquis désormais que l’œuvre doit ses origines au mouvement spirituel de la Devotio moderna [cf. DEVOTIO MODERNA] et qu’il en résume admirablement les tendances.

Le problème de l’auteur

Dès avant 1424 commence à circuler, spécialement dans les régions du Nord, un petit ouvrage spirituel formé de la réunion de quatre traités relativement brefs. Si les trois premiers présentent entre eux des relations certaines, le quatrième, qui traite de l’Eucharistie, est nettement à part de l’ensemble. Immédiatement, l’ouvrage est diffusé en d’innombrables copies manuscrites, qui modifient sur beaucoup de points le texte et l’ordre des quatre livres. Parfois, les scripteurs ajoutent des noms d’auteurs, souvent fantaisistes, par exemple saint Augustin ou saint Bernard. Mais un grand nombre de copies attribuent l’œuvre à Thomas Hemerken a Kempis (1379-1471), chanoine régulier, longtemps maître des novices au monastère du mont Sainte-Agnès de Zwolle. D’autres mettent en avant des noms qui présentent une certaine vraisemblance. L’imprimerie accroît encore la diffusion de l’Imitation et en multiplie les éditions. En outre, très rapidement, l’original latin est traduit dans toutes les grandes langues européennes, puis hors d’Europe en de nombreux dialectes, à l’usage des missions. Parmi les multiples traductions françaises qui se succèdent au cours des années, il faut mentionner tout particulièrement celle de Lemaistre de Sacy (1662) et celle publiée sous le nom de Félicité de Lamennais (1824), qui est en réalité de son frère Jean.

Les controverses sur l’attribution commencèrent dès le début du XVIIe siècle après la découverte à Arona, en Italie, d’un manuscrit que l’on datait alors du XIIIe siècle. Il s’ensuivit une polémique embrouillée et sans fin, où intervinrent presque tous les érudits du XVIIe siècle, y compris Mabillon. Elle devait se prolonger à travers le XVIIIe et le XIXe siècle jusqu’à la période contemporaine, où seules quatre hypothèses méritent d’être retenues et examinées.

La première est celle qui attribue au chancelier de l’université de Paris Jean Charlier dit Gerson (1363-1429) treize des manuscrits actuellement conservés; cette thèse, qui fut défendue dès le XVIIe siècle par de nombreux Français, a été encore soutenue plus près de nous par J. B. Monnayeur (1929) et G. Barron (1936). L’attribution à Gerson, qui apparaît semble-t-il dans les manuscrits à partir de 1465, s’explique par la renommée d’auteur spirituel dont jouissait celui-ci, mais elle a contre elle le fait que la liste des œuvres authentiques du chancelier est bien connue et que l’Imitation n’y figure pas. D’autre part, la comparaison stylistique avec les ouvrages indiscutables de Gerson suffit à la rendre insoutenable et on ne découvre pas non plus de rapprochement vraiment caractéristique dans le domaine de la pensée.

Une autre hypothèse beaucoup plus séduisante a été formulée par le jésuite J. Van Ginneken dans un grand nombre de livres et d’articles qui s’échelonnent de 1929 à sa mort en 1947. D’après lui, le fondateur de la Devotio moderna , Gérard Grote, aurait tenu une sorte de journal spirituel rédigé en moyen néerlandais ou thiois, qu’il aurait lui-même récrit en latin, en le modifiant, vers la fin de sa vie. Ce texte primitif aurait subi après sa mort diverses modifications, spécialement de la part de son disciple Gérard Zerbolt († 1398). Thomas a Kempis n’aurait fait que revoir et mettre en ordre cette version pour donner au livre sa forme définitive. En dépit de la somme considérable d’érudition dépensée par le P. Van Ginneken pour défendre sa thèse, elle n’a pas convaincu les spécialistes, n’étant étayée par aucune preuve historique ou documentaire; d’ailleurs si l’on avait connu Gérard Grote comme l’auteur de l’imitation , il paraît impossible, vu la vénération qui l’entourait, que personne n’en ait jamais parlé. Enfin, on a pu relever de nombreuses différences de style et de pensée entre l’Imitation et les œuvres de Grote certainement authentiques. Cette attribution ne semble guère plus soutenable que celle proposée par A. Hyma (1950) qui pense que Zerbolt lui-même est l’auteur du livre.

Vingt-huit manuscrits anciens actuellement connus attribuent l’Imitation à un certain Jean Gersen, abbé bénédictin de Verceil, qui serait mort vers 1243. Beaucoup de spécialistes, dès les débuts de la controverse, virent dans ce nom de Gersen une mauvaise graphie de Gerson. Cependant l’attribution à Gersen fut défendue par de nombreux auteurs, parmi lesquels Mabillon au XVIIe siècle et, au XXe siècle, le cardinal Schuster, R. Pitigliani (1937), P. Bonardi (1938) et T. Lupo (1964). Ils ont consacré à la défense de leur cause des trésors d’érudition et un zèle parfois un peu âpre, sans jamais réussir à démontrer qu’il ait réellement existé un Jean Gersen abbé de Verceil, et à donner ainsi une base solide à leur construction. D’ailleurs, sur le plan philologique ou historique, rien ne vient appuyer l’hypothèse d’une origine italienne de l’Imitation .

Reste donc la thèse la plus fortement affirmée par la tradition, celle de l’attribution à Thomas a Kempis, dont le nom figure sur trente-sept des manuscrits. Les travaux récents de J. Huyben et de P. Debongnie ont montré qu’elle était la seule qui s’imposait. Il est incontestable, en effet, que, par ses thèmes spirituels l’Imitation se rattache à la Devotio moderna comme à son milieu originel. D’autre part, des comparaisons philologiques et statistiques entre les œuvres authentiques de Thomas a Kempis et l’Imitation ont donné un résultat positif. Enfin, il existe à la Bibliothèque royale de Bruxelles (Cod. Brux. 5855-5861) un manuscrit de l’Imitation qui est de la main même de Thomas; les travaux de L. M. J. Délaissé (1956) ont montré avec évidence qu’il s’agit d’un autographe d’auteur et non d’une copie. Il semble donc que désormais on puisse considérer en toute certitude Thomas a Kempis comme l’auteur du De imitatione Christi .

Une spiritualité des états de conscience

Destinée à des moines, l’Imitation limite le plus souvent ses perspectives aux horizons du cloître, mais la profondeur de ses vues spirituelles et sa richesse psychologique sont telles que les fidèles chrétiens dans leur ensemble ont pu y trouver leur aliment. Les tentatives faites pour découvrir dans les trois premiers livres un plan continu sont à la vérité peu convaincantes, moins encore celles qui veulent y voir une correspondance avec les trois voies, purgative, illuminative et unitive. Le texte définitif en est assurément composite. Cependant, il faut reconnaître que le plan final adopté par l’auteur présente une réelle gradation, un passage nuancé du problème ascétique de l’acquisition des vertus à l’amour de la Croix et au dialogue intérieur avec le Christ.

La suprématie accordée à la vie intérieure sur les œuvres extérieures n’a rien de spécifiquement monastique: c’est un trait de la Devotio moderna , comme aussi le primat de la prière personnelle sur les formes liturgiques. Mais cela conduit l’Imitation à une véritable intériorisation de l’ascèse qui est particulièrement intéressante à une époque où l’on abusait facilement des pénitences corporelles: l’ouvrage fait preuve à cet égard d’une remarquable discrétion.

Le caractère christologique de cette œuvre est particulièrement frappant. Tout y est centré sur l’union au Christ: le terme «imitation» ne rend compte ici que très imparfaitement du contenu. La contemplation de l’humanité du Christ y est attentive et profonde. Elle se colore parfois d’une nuance doloriste par son insistance sur le rôle de la souffrance dans la vie de Jésus. P. Debongnie a pu relever à ce sujet une certaine influence de Suso. Cependant, l’Imitation n’y met pas autant de violence que celui-ci et s’en tient aux demi-teintes. En revanche, elle revêt l’union au Christ d’un aspect à la fois personnaliste et psychologique, en lui donnant la forme d’un dialogue. Sous ce rapport, elle a eu par la suite dans la littérature de la piété de nombreux imitateurs.

Du reste, la spiritualité de cet ouvrage est essentiellement marquée par le souci de l’analyse intérieure et de l’introspection. La vie spirituelle y est envisagée d’abord comme une suite d’états de conscience qu’il s’agit de caractériser et d’analyser. Par là, l’Imitation prépare le psychologisme spirituel qui se fera jour au XVIe siècle. Elle accorde à la succession de ces états intérieurs, et particulièrement à l’alternance des périodes de sécheresse et des consolations, une grande valeur significative. Sa judicieuse sûreté en ce domaine explique en partie son succès. Mais on saisit combien cette spiritualité se sépare par là du mysticisme métaphysique des Rhéno-Flamands, centré sur l’union à l’essence divine dans son unité.

L’Imitation a une vision assez sombre du monde extérieur au cloître, ce qui est peut-être un trait monastique. Mais c’est aussi de toute évidence l’esprit du XVe siècle, rebuté par les complications de la scolastique finissante, qui transparaît dans l’anti-intellectualisme de cette œuvre, dans son mépris affiché pour les spéculations des théologiens, dans sa prédilection pour les âmes simples et sans culture. On sent bien qu’elle appartient à un temps où le divorce entre la piété et la science théologique est consommé.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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